Lorsque nous faisons de la correction active, nous pouvons agir sur deux choses : la courbe de réponse, avec n'importe quel égaliseur, et la courbe de phase, avec certains égaliseurs seulement.
Il existe deux cas particuliers : l'égalisation à phase minimale, qui représente l'immense majorité des égaliseurs, graphiques comme paramétriques. Quand on corrige une courbe de réponse, on agit toujours "à phase minimale". Et l'égalisation à phase linéaire, qui est réservée à des cas particuliers, notamment certains crossovers.
Que signifie "phase linéaire" ? Lorsque nous ouvrons le panneau Paragraphic EQ du logiciel Rephase, nous voyons qu'il nous propose deux types d'égalisation : Phase minimale, et Phase Linéaire.
Comparons les résultats obtenus dans les deux cas. Pour cela, nous allons exporter l'impulse response et la charger dans le logiciel REW afin d'analyser le résultat.
Nous allons aussi regarder ce qui arrive au signal lui-même lorsqu'il est filtré ainsi. Nous partirons d'une impulsion instantanée.
Pour le filtrage à phase linéaire, cela donne ceci :
La notion de phase linéaire se comprend aisément : la courbe de phase est plate. Le filtrage ne modifie pas la phase du signal.
L'impulsion est transformée en un signal symétrique. Le grave, le medium, et l'aigu sont étalés de part et d'autre de l'impulsion initiale. Cet effet porte de multiples noms : time smearing, pre-echo, post-echo, pre-ringing, post-ringing, effet Gibbs... J'utiliserai les termes pré et post-ringing.
Comme le signal est symétrique, en moyenne, le grave, le medium, et l'aigu restent synchronisés. C'est ce que signifie une courbe de phase plate.
Si on recommence à phase minimale, voilà ce qu'on obtient :
Cette fois, la phase est affectée par le filtrage. La courbe n'est plus plate.
Par contre, l'impulsion n'est étalée que vers la droite. Il n'y a pas de pré-ringing. A noter que toutes choses égales par ailleurs, le post-ringing est beaucoup moins audible que le pré-ringing (c'est l'un des effets utlilisés dans la compression mp3).
La conséquence de ceci, c'est que grave, medium et aigu ne sont plus synchronisés. L'aigu est joué en premier, le médium ensuite, et le grave en dernier.
Pour résumer,
Egalisation à phase linéaire :
- Toutes les fréquences restent synchronisées
- Il y a du pré-ringing
- Ce dernier introduit un délai : l'égaliseur ne fonctionne pas tout-à-fait en temps réel
- Les fréquences graves sont en retard par rapport aux autres
- Il n'y a aucun pré-ringing
- L'égaliseur fonctionne en temps réel
Comparons les résultats. On se cale sur les hautes fréquences, qui ne sont que très peu déphasées dans un cas comme dans l'autre. Agrandissons au maximum :
Ensuite, reculons un peu le niveau de zoom, et sélectionnons les six plus grandes alternances du coup de grosse caisse qui suit, et mesurons leur position par rapport à notre point de repère.
En haut, la version à phase linéaire. En bas, à phase minimale.
Le retard pris par le grave dans la version à phase minimale est de 74 millisecondes. Soit, musicalement, la durée d'une triple croche !
Notez le pré-ringing visible à gauche dans la version à phase linéaire.
Si on diminue le niveau de zoom, l'aspect général est le suivant. Les marqueurs suivent le rythme de la musique.
Est-ce que tout cela est audible ? J'ai fait une petite vidéo de démonstration.
J'ai en outre fait un ABX avec un score de 16/16 entre les deux versions.
On entend bien le pré-ringing précéder le coup de grosse caisse avec le filtre à phase linéaire, et on peut aussi entendre que le grave est en retard avec le filtre à phase minimale.
Le délai paraît énorme. Cela s'explique par l'amplitude extrême du filtre appliqué. Mais le plus curieux, c'est que si, au lieu de regarder le signal, on se base directement sur la courbe de phase...
On a au maximum 62 degrés de retard à 50 Hz.
Soit 1/50 * 62 / 360 * 1000 = 3.4 millisecondes.
Je rappelle qu'il s'agit ici d'une simulation virtuelle, et non d'une mesure de ma pièce. La courbe de phase indiquée ci-dessus est exactement celle qui est appiquée au fichier audio !
Comment expliquer cela ? C'est simple : la durée du pré et du post-ringing n'a rien à voir avec la valeur maximale de la phase.
Ils ne sont pas limités à 3 ms, ni même 74 ms : mathématiquement, ils peuvent être infinis. Et ce sont eux qui sont responsables du glissement temporel que l'on entend.
Cela nous apprend une chose très importante : la courbe de phase ne nous indique pas le décalage temporel subi par le signal. Ce décalage, c'est le Group Delay qui va nous l'indiquer.